Jardin’enVie : Artisan-semencier #variétéspaysannes
Installée dans la Drôme, la coopérative Jardin’enVie est l’un de nos producteurs de légumes. Mais elle exerce avant tout le métier d’artisan-semencier. Dimanche 21 octobre, Eric Marchand, membre de la coopérative, est venu à Montreuil nous parler de ce métier et des enjeux liés aux semences paysannes à La Marbrerie.
Valérie Peyret et Eric Marchand
”On ne parle jamais de la semence”, constate Eric Marchand de Jardin en’Vie. “Aujourd’hui, les méthodes culturales - conventionnel, raisonné, bio, agroforesterie, sol vivant, biodynamie… - et le circuit de distribution - long, court, direct… - sont bien médiatisés, mais la questions des semences et des variétés n’a pas la place qu’elle mérite.” Installé au nord Valence, dans la Drôme, Eric Marchand est artisan-semencier. Avec Valérie Peyret, ils ont fondé Jardin en’Vie en 2007. La coopérative compte aujourd’hui 40 associés et dix personnes y travaillent au quotidien. Elle est l’une des six entreprises françaises à exclusivement produire et diffuser des variétés paysannes. “Nous ne travaillons qu’avec des variétés libres de droit de propriété intellectuelle et refusons tout ce qui est Certificat d'obtention végétale (COV) ou brevet pour des raisons d’efficacité économique, sociale, alimentaire et démocratique, précise Eric. Ce système bride la créativité et l’innovation. Nous essayons de restaurer les savoirs traditionnels et populaires qui ont été perdus au fil des ans depuis l’avènement de l’agrochimie ; nous les revisitons à la lumière des connaissances et des modes de vie d’aujourd’hui.” La culture des variétés paysannes s’inscrit dans un cycle millénaire de co-évolution permanente entre l’Homme, les lieux de culture et la plante. L’artisan-semencier est avant tout un observateur du vivant, qui choisit les critères d’évolution des plants pour récolter, année après année, les semences qui présentent des caractéristiques intéressantes, que ce soit en termes de goût, de capacité d’adaptation à différents terroirs, au changement climatique ou aux modes de cultures sans engrais ni pesticides. “En France, moins de 1% des exploitations agricoles - bio et non bio confondues - cultivent essentiellement avec des semences paysannes”, poursuit Eric. Toutes les autres s’approvisionnent d’abord auprès de semenciers industriels. La raison est principalement politique et légale. Car dans le contexte actuel, seules les semences inscrites au catalogue officiel sont autorisées à la vente pour les professionnels. Ces semences autorisées sont le plus souvent conçues loin des fermes par des “obtenteurs” et protégées par des droits de propriété intellectuelle. A rebours des variétés paysannes, elles ne sont viables que dans un environnement artificiel, modifié par l’apport d’engrais et de pesticides.
Monopole et captivité
Aujourd’hui, trois géants de l’agrochimie (Monsanto-Bayer, DuPont-Dow et Syngenta-ChemChina) se partagent près de 60% du marché des semences dans le monde - et une part encore plus importante si on ne considère que les pays occidentaux. Les graines qu’ils produisent sont en grande majorité des hybrides F1, obtenues grâce à une “épuration génétique”. Le procédé, qui diminue le patrimoine génétique des parents, permet de maîtriser les caractéristiques qui seront transmises à la descendance. Les hybrides F1 sont en quelque sorte des “clones”, dits “stables et homogènes”, rassemblant les meilleures qualités de chacun de leurs parents (précocité, vigueur, rendement…). Mais leur descendance, du fait d’une trop forte consanguinité, ne présente plus ces avantages : chétive, peu productive, si ce n’est stérile, et incapable de vivre sans béquille chimique, elle perd aussi son homogénéité. Le recours à des semences F1, ou d’autres types de semences présentées comme modernes, de part leur caractéristiques et les droits qui les protègent, condamne l’agriculteur et le jardinier à racheter chaque année de nouvelles semences. Qui plus est, ces semences sont sélectionnées sur des critères tels que la résistance au transport, la tolérance à certains pesticides ou la capacité à absorber de l’eau et de l’azote (pour produire des fruits plus lourd), et non pour leurs qualités nutritives et gustatives. Plaies pour la biodiversité, les semences industrielles sont aussi les ennemis du goût.
Dimanche 21 octobre, Eric est venu à la Marbrerie avec une vingtaine de variétés de tomates, des oignons doux, qu’il propose de croquer crus sur une fine tranche de pain beurré, du melon d’hiver à la chair blanche sucrée et de la courge Royal Acorn, coupée crue en petits dés. Un régal !
Changer de modèle
Les consommateurs, habitués à certains standards de forme, de couleur et de goût, sont souvent surpris par les variétés paysannes. “Le premier contact avec nos légumes n’est pas toujours évident, confirme Eric. Lorsque nous avons proposé des aubergines blanches pour la première fois, c’était en 2005, personne n’en voulait ! Mais c’est maintenant l’un de nos produits les plus demandés. Pour qu’ils soient appréciés, il faut en parler, les faire goûter, expliquer comment les cuisiner. Dans ce travail de diffusion, les épiciers jouent un rôle très important car ils font le lien entre les producteurs et les consommateurs.” Jardin’enVie fait partie des réseaux Minga et Semences Paysannes, et travaille avec de nombreux partenaires (agriculteurs, artisans-semenciers, épiciers, AMAP, restaurateurs…) pour réorganiser les filières dans l’intérêt de ceux qui produisent et/ou consomment. “Ceux qui détiennent le semences ont un pourvoir immense entre leurs mains, souligne Eric. Il est urgent de proposer un autre modèle économique, pour donner la possibilité et la liberté aux agriculteurs de s’affranchir des semences standardisées et ainsi préserver la biodiversité pour reconquérir autonomie et qualité alimentaire.”
Pour en savoir plus :
”Mauvaise graine”, un super article de Virginie Le Borgne et Lisa Mandel, paru dans la Revue Dessinée #21 (automne 2018)
Définition et lexique des semences sur le site Inf’OGM